• Chapitre 5 Le flic et le clochard

     

      La pluie battait conifères et aubépines. Deux lanternes patinées éclairaient à peine une vieille tente en toile. Des hautes haies  entouraient une pergola fleurie. Il avait pour couchage une couverture trouée. L'eau s'invita. Ses orteils remuèrent. Jaméson enfila ses chaussures. Le trou de son pantalon s'agrandit plus qu'hier. Il fuit. Malgré le matin gris, la bonne odeur des violettes lui donna le sourire. Il sauva trois fruits pourris, dans une caisse qu'il avait volée. Il croqua une pomme à la peau desséchée, mit de côté une orange et un paquet de biscuits entamé. Le feu de camp se noyait. Jaméson fila vers la cabane à bois...

    Chapitre 5 Le flic et le clochard

     

     Liotta se confiait à son journal intime, assise sur une chaise confortable dans la salle à manger « Saperlipopette ! Je n'ai pas fait de cauchemars. Normal, je n'ai pas dormi. J'ai veillé sur le garçon toute la nuit. Ce petit est là depuis une nuit et je suis déjà attachée à lui ».

    Sur ces mots, elle referma son cahier. Ce fut sous le matelas qu'elle le dissimula. La pluie cognait contre les vitres de sa chambre. Un regard dehors, Jaméson ajoutait du bois sous une écuelle. L'eau avait envahi sa ration de viande. Vêtue d'un pyjama, Liotta accourut jusqu'à lui.  

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    — Jaméson, qu'est-ce que vous faites là ?

    — Bonjour Liotta. Je vis ici.

    — Dans mon jardin ?

    — Oui.

    — Je ne comprends pas ! Vous êtes un sorcier oui ou non ?

    — Je vous vois tous les matins sur votre balai, monter dans les nuages, vous savez... la route qui mène chez les sorciers.

    — À Glimmerbrook. Et ?

    — Je vous ai volé un balai pour m'y rendre aussi. OK. Je vous avais déjà vue avant de vous parler, votre nom est écrit sur votre boîte aux lettres.

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    — Je risque l'expulsion ! S'exclama-t-elle, en colère.

    — Pardon, dit-il en s'inclinant brièvement. Je ne dirai rien, votre secret est bien gardé. En fait, je suis sans domicile fixe. Je pensais que la directrice m'offrirait un toit, mais mon admission n'a pas encore été validée.

    — L'école a des règles. Elle ne fait pas confiance aux nouveaux arrivants. Ce n'est pas un camp de vacances !

    — Je leur ai dit que je descendais d'une lignée de grands sorciers.

    — Comment avez-vous fait pour les papiers ?

    — J'ai écrit sur la fiche d'inscription que j'habitais sous le peuplier après la maison près du pont. Ils m'ont ri au nez alors j'ai donné votre adresse.

    — Jaméson ! Je risque une deuxième expulsion.

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    — Comment se porte Ruben ?

    — Vous changez de conversation... Le garçon va bien. Je vais rentrer. Ce n'est pas prudent de le laisser seul.

    — Oui, c'est préférable. Je vais ranger mes affaires et partir. Pardon pour tout. Si vous avez des ennuis à cause de moi, je leur dirai la vérité.

    Sous la pluie incessante, Liotta resta figée, étonnée. Elle regarda autour d'elle. Jaméson rassembla dans un baluchon le peu de vêtements qu'il possédait. La sorcière relança :

    — Vous comptez retourner dans le monde magique habillé de la sorte ?

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    — Je n'ai pas de costume trois pièces, seulement quelques vêtements... ils sont trempés.

    — Je vais laver votre linge. Venez ! 

    — Je suis SDF mais j'ai reçu une bonne éducation. Je ne veux pas de votre pitié.

    — Je sais mieux que quiconque ce qu'est la pitié. Regardez mon visage... Disons que c'est pour la location de mon jardin. Alors ?

    — D'accord.

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     Il attrapa son baluchon. Liotta avança d'un pas.

    — Vos arbres cachaient encore ma misère la semaine dernière.

    — Le bûcheron s'est trompé de maison.

    — Quelle andouille !

    — J'ai installé Ruben dans le salon. Ne faites pas de bruit en rentrant, il dort à poings fermés. Je vais mettre votre linge à laver et refaire du café.

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    — Vous avez une jolie maison, conclut Jaméson, passant d'une pièce à l'autre. Le gris et le blanc se marient bien.

    — Trop grande pour moi seule. Mobilier moderne, pas vraiment à mon goût, mais tout a été payé par l'as de pique, autrement dit, Simeon Silversweater, le mage le plus puissant de tous. Excusez-moi, je reviens !

    Une fois la machine à laver actionnée, elle revint dans le couloir. Jaméson dormait dans le canapé.

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     Non loin de là, un barbu aux cheveux clairs attendait derrière la porte, un parapluie à la main.

    Gabriel ouvrit :

    — Monsieur Belle ?

    — Lui-même.

    — David Dekarpel, police de Windenburg.

    — Je vous attendais. Entrez !

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      Gab le mena jusqu'au salon.

    — Prenez place monsieur Dekarpel. Je vous remercie d'être venu aussi vite.

    — Ce n'est pas tous les jours qu'un homme tel que vous fait appel à nos services. 

    — La plus jeune de mes filles a disparu, Désirée. 

    — C'est ce que j'ai compris lorsque vous m'avez téléphoné. 

    — Elle est partie en croisière avec Vincent Lombardi, mais elle n'est jamais revenue.

    — À quelle date monsieur Belle ?

    — Le sept printemps. C'était le jour de l'inauguration du Newcrestic. Je suis persuadé qu'il lui est arrivé malheur.

    — Sa photo sera diffusée au journal de vingt heures pour disparition inquiétante. Vous avez de bons rapports avec elle ?

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    — Nous sommes très proches, sa mère nous a quittés lorsqu'elle était petite. Désirée s’occupe de mes affaires, d'une manière générale. J'ai pour projet de sauver l'orphelinat de notre ville. Qui donnera une œuvre d'art lors de mon prochain gala de charité sera vendue afin de récolter des fonds au profit des orphelins de Windenburg. D'habitude, c'est Daisy qui gère les détails et les préparatifs.

    — Les gens vous apprécient pour ce que vous faites monsieur Belle. Des changements dans votre vie dernièrement ?

    — Le retour de ma fille aînée, Laora. 

    — Est-ce qu'elle s'entend bien avec Désirée ?

    — Laora a toujours été jalouse de sa sœur. Elle dit que c'est ma préférée. Oh, il y a sans doute du vrai... Elle m'a abandonné au moment où j'avais le plus besoin d'elle, c'est-à-dire à la mort de sa mère. 

    — Est-il possible que Laora ait fait du mal à Désirée ?

    — Je n'ose pas y croire ! 

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    — Je vais entamer une enquête de voisinage.

    — Liotta Conley habite environ à un kilomètre d'ici. C'est la première maison que vous trouverez en chemin. C'est une fille mystérieuse, mais toujours serviable.

    — Parfait ! Je questionnerai aussi Vincent Lombardi et j'irai jeter un coup d’œil dans le bateau. L'équipage se souvient certainement de Désirée. Une demoiselle telle que votre fille n'a pas pu passer inaperçue au bras de Vincent Lombardi. J'ai oublié ce petit verre correcteur qui ne me quitte jamais, et mon carnet de notes aussi. Quel maladroit je fais ! Avez-vous une photo de Désirée ? Ou devrais-je dire Daisy ?

    — Je lui donne souvent ce petit nom. L'un ou l'autre, cela m'est égal. Je veux juste retrouver mon enfant !

    — Il faudra venir au poste faire une déposition, le plus tôt sera le mieux.

    — Comptez sur moi ! Merci pour votre aide monsieur Dekarpel.

    — Oh ! J'oubliais... Combien de temps a duré la croisière ?

    — Deux jours.

    — Quand Laora est-elle revenue chez vous ?

    — Le neuf printemps.

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    — Daisy disparaît et sa sœur réapparaît... Quelle école fréquente Daisy ?

    — Elle prend des cours particuliers à la maison. Je monte chercher une photo de ma fille.

    — Faites donc cela monsieur Belle.

    Il monta à l'étage. David Dekarpel fouina jusque dans les coutures du canapé. Mine de rien fit-il lorsque Gab redescendit. 

    — Votre fille Laora est là ?

    — Non. Elle était déjà sortie quand je me suis levé, sans laisser de mot. Ma petite Daisy le fait tout le temps !

    David retira le cadre et empocha la photo. Il fit claquer la bretelle de son pantalon en quittant la maison.

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     Des yeux curieux s'ouvrirent sur un tas de paquets, petits, grands, soigneusement emballés et noués par des rubans d'argent.

    — Vous êtes sûr que c'est pour moi Samuel ?

    — Sans aucun doute mademoiselle Daisy. Monsieur Lyron a dit qu'en attendant son retour vous pouviez aller et venir comme bon vous semble dans le manoir.

    — J'aimerais bien prendre l'air.

    — Je vous le déconseille mademoiselle Daisy. Je suis assigné à astiquer les pierres tombales, dehors, il y en a partout. Je ne peux guère vous causer, je retourne à ma tâche...

    — Nous sommes seuls Samuel. Vous pouvez parler... Motus et bouche cousue !

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     Il murmura :

    — J'ai vu le Baron Vladislaus devenir une fumée noire. C'est comme cela qu'il se déplace et qu'il me surveille.

    D'un air choqué, elle répondit :

    — Vous avez déjà bu Samuel ?

    — Je ne bois pas d'alcool mademoiselle Daisy. J'ai fait le tour du manoir, il n'y a aucune voiture, pas de bicyclette, rien...

    — Comment êtes-vous arrivé ici ?

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    Après un long silence, il avoua :

    — Je ne m'en souviens pas.

    — Oh !

    — Ceci dit, Monsieur Lyron a donné des consignes. Je le cite : demandez à ma jolie Daisy de porter la robe qu'elle trouvera dans le grand paquet.

    — Très bien ! Vlad et Lyron où sont-ils ?

    — Je ne sais guère. Je vais préparer le déjeuner. Si vous avez besoin de moi je suis en cuisine.

    — Merci Samuel. 

    — À votre service mademoiselle Daisy !

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     David Dekarpel frappait à coups répétés derrière la porte d'une grande maison à pans de bois sur le bord de la route. Un vaste terrain l'entourait. 

    — J'ai bien cru que j'allais rester sous la pluie. Liotta Conley ?

    — Oui.

    — Je me présente, David Dekarpel. Police de Windenburg. J'enquête sur la disparition de Désirée Belle. Puis-je vous poser quelques questions ?

    — Oui. Entrez...

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     Elle le dirigea vers le salon.

    — Vous avez un fils ?

    Liotta saisit l'enfant dans ses bras, fière de le lui présenter.

    — Oui, il s'appelle Ruben. Je m'apprêtais à lui donner le biberon.

    — Ce ne sera pas long...

    Elle recoucha l'enfant dans son berceau. 

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     David commença son interrogatoire :

    — Quels sont vos rapports avec monsieur Gabriel Belle ?

    — Je lui rapporte des pilules pour son mal de dos, du fait maison. On peut dire que c'est un ami.

    — Vous connaissez Désirée Belle ?

    — Oui. C'est une fille bien.

    — Et Laora Belle ?

    — Elle est revenue chez monsieur Belle après des années d'absence, habillée d'une longue robe rouge. On ne voyait qu'elle. Je pensais qu'elle revenait d'un carnaval ou d'un bal costumé, que sais-je !

    — C'était quand ?

    — Je rapportais des pilules à Gabriel. Il était tôt, c'était le neuf printemps, je crois.

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    — Croire ne suffit pas ! Alors ?

    — C'était bien le neuf.

    — Vous lui en apportez souvent des pilules ?

    — Dès qu'il en a besoin.

    — Ce sera tout pour l'instant. Merci de m'avoir reçu.

    David remarqua Jaméson endormi dans le canapé.

    — C'est votre mari ?

    — Non, je ne suis pas mariée.

    Il observa l'annulaire de Liotta, elle ne portait pas d'alliance. 

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     Lorsqu'elle referma la porte derrière lui, il contourna furtivement la maison. Devant les casseroles sales et la nourriture gâtée, il en déduisit que quelqu'un vivait dans cette toile de tente. Il fouilla les poches d'un pantalon oublié sur la verdure trempée. Le policier saisit une pièce étrange, un dragodor.

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     Lyron sourit lorsque la silhouette de Daisy apparut en haut de l'escalier. Assis sur un dur tabouret, Vladislaus se retourna.

    — Admirez la beauté parfaite mon oncle !

    — Vous me l'avez volée mon cher neveu...

    — Oncle Vlad, soyez réaliste ! La belle et la bête ne sont plus à l'affiche.

    — Vous êtes tombé amoureux d'elle.

    — Je ne saurais dire...

    — Bien sûr que si. C'est pour la protéger de moi que vous gardez la proie enfermée dans ses appartements. Combien de temps va-t-elle tenir ? Elle devient très insistante pour rentrer chez elle.

    — Je sais, soupira-t-il. La voilà qui descend, restez discret je vous prie.

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     Un diadème en argent relevait sa longue chevelure en un chignon épais. Il referma la bouche lorsque Désirée posa le pied dans le grand salon. Lyron devint presque timide lorsqu'elle s'approcha de lui.

    — L'honneur de votre présence me flatte jolie Daisy. Merci d'avoir accepté de poser. Cette robe vous met tellement en valeur, vous la méritez !

    Elle rougit. Vladislaus aussi en était spectateur. Il demanda :

    — La proie aimerait-elle un morceau en particulier ?

    — Bonjour, sourit Désirée. 

    — Un morceau de Vivaldi me conviendrait parfaitement mon cher oncle !

    — Je ne vous ai guère posé la question ! Désirée ?

    — Vivaldi c'est parfait, répondit Daisy.

    L'oncle Vlad tourna une page de partition d'orgue. Lyron attrapa son pinceau.

    — Je vais réaliser le plus beau des portraits ! Prenez place comme bon vous semble Désirée, il ne faut plus bouger. 

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       Un tramway avait conduit David Dekarpel dans le quartier huppé de la Magnolia Promenade. Derrière les portes de la boutique  de luxe, Laora Belle et Vincent Lombardi se disputaient.

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    Le policier s'imposa en faisant claquer la bretelle de son pantalon. 

    Il s'exclama indiscrètement :

    — Une querelle d'amoureux ?! 

     

     


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