Le poisson cuisait dans la poêle. Hirador ne cessait de gambader sur le plan de travail, dans la cuisine, impatient.

— Arrête de gesticuler, demanda gentiment Daisy. C'est presque prêt. Tu souhaites du persil ou un peu d'oignon peut-être ?

 

 

 Un rire la fit sursauter.

— Vous semblez en forme ce matin. Bonjour Daisy.

— Lyron ! Je ne vous ai pas entendu arriver.

— Je vois que vous avez fait la connaissance d'Hirador.

— Je l'ai soigné pendant deux jours. Quel bougre a bien pu lui arracher les écailles ?

— Je suis confus, ce n'est pas moi.

Elle douta « Vraiment ? ».

— Vous êtes en colère Daisy ?

— Oui. Où est Samuel ?

 

— Il hiberne. Pardon, je veux dire qu'il se repose. Pourquoi cette variation d'humeur injustifiée ?

— Quel culot, murmura-t-elle, charmée. Il y a un dragon ici. Trouvez-vous cela ordinaire ? Je dois être la seule à penser que tout est étrange dans cette maison. Je suis en train de cuisiner pour un dragon.

— Où placez-vous la frontière de l'ordinaire jolie Daisy ? Il n'y a rien de plus beau qu'un dragon. Ils sont le symbole de la vigilance impitoyable, le saviez-vous ?

— Bien sûr, mais...

— Je crois qu'il est reconnaissant pour le plat que vous lui avez préparé. Servez-lui ce mets délicieux.

 

 Daisy attrapa une assiette dans le placard et fit glisser le poisson frit dans celle-ci. Elle y posa une garniture de persil, quelques rondelles de citron et du céleri en branche.

— Cher Hirador, continua Lyron, nous vous souhaitons bon appétit. Et j'ai l'honneur de vous présenter Désirée Belle.

— Bon appétit Hirador, ajouta-t-elle. Lyron, il faut que je rentre chez moi maintenant. Pouvez-vous m'y aider ? 

— Hélas, cela n'est guère possible. Une bataille de neige, cela vous tenterait-il ? Demanda Lyron, un sourire en coin.

— Une excuse de plus, répondit-t-elle, d'une humeur maussade. Cela fait presque un an que je suis ici. J'ai l'impression d'avoir passé tout mon temps à dormir. Vous ne voulez pas que je rentre chez moi ?

— C'est ici votre maison maintenant. Allons... Allez mettre un manteau.

Un ordre formel qui la fit frémir.

 

 Hirador poussa un cri pour remercier Désirée. Un cri qui se fit entendre jusqu'au fond du sépulcre. Toujours aussi gourmand, le dragon noir sauta sur son repas.

« Je crois qu'il vous a remercié » dit Lyron. « Dommage qu'il n'ait pas la parole » souligna Daisy.

 

 Sous la neige épaisse et lumineuse de Forgotten Hollow, Lyron tira le premier. Désirée reçut  une boule de neige en plein front. Elle fut d'abord surprise, puis elle en rit.

À son tour, d'un mouvement précipité, elle fit rouler ses mains dans la neige. Daisy souleva une boule grosse comme un ballon, celle-ci finit en poussière. Lyron éclata de rire.

Daisy songea  « C'est un vrai gentleman. Il n'ose pas me dire qu'il m'aime alors il me garde près de lui ».

 

 Sur le pas de la porte, Vladislaus les épiait. Il enviait leurs cris d'allégresse et d'attendrissement, malheureux de cette proie qu'il n'avait pas eue. Il imaginait le goût amer ou sucré de sa chair. Désirée empestait à des kilomètres.

Une nuée de corbeaux troua le ciel. Leurs cris lugubres firent frissonner Vladislaus. Le mal traversait la forêt.

 

 

 L'oncle Vlad s'interposa entre Lyron et Désirée. 

— Rentrez immédiatement à l'intérieur, ordonna-t-il. 

— Expliquez-vous mon oncle !

— Votre jeu puéril me donne le tournis. Je ne veux pas que la sorcière vous voie de la sorte quand elle amènera l'enfant. Nous devons rester fermes, sérieux et réfléchis. C'est ainsi le respect de notre tradition et c'est ce que je veux inculquer à ma petite petite fiotte. 

— Une sorcière ? Une petite fiotte ? Répéta Daisy, interpellée.

 

 Vladislaus s'adressa à son neveu :

— Je me suis permis de faire parvenir à la sorcière les écailles de dragon et la peau de gargouille.

— C'est vous le coupable ? Haussa d'un ton Daisy. Vous avez arraché les écailles à ce pauvre Hirador. Je suis contre la cruauté des animaux et vous ne lui ferez plus de mal.

— Ignorante ! Vous sous estimez sa puissance, ses capacités et sa force. 

— Vous êtes insupportables tous les deux, accusa-t-elle, en regagnant le manoir.

 

 

— J'ai l'impression de vous avoir vue à l'instant jouer un piètre rôle dans une pièce de théâtre, répliqua Lyron.

— Taisez-vous ! Je voulais que Désirée rentre à l'intérieur. Ils se dirigent vers le manoir, dit l'oncle Vlad avec certitude.

— Mais qui "ils" ? Et comment avez-vous su pour les écailles de dragon ? 

— Question idiote ! Je suis un maître vampire. Je lis dans vos pensées.

— Je ne vous permets pas de le faire...

— Je fais ce qui me plaît. Je suis le seigneur et maître de Forgotten Hollow, comme l'est votre frère à Terre-Royale.

 

— On dit pourtant que c'est la loi du plus fort ici. Il est temps que cela change mon oncle. Il s'avère que la rose noire m'est acquise maintenant. Et j'ai le regret de vous dire que Désirée s'est piquée avec celle-ci.

— Mon neveu est non seulement un orgueilleux charmeur, mais tout autant ignorant. Cette rose noire est l'héritage de ma petite fiotte. Vos jeux dangereux vous tueront pauvre idiot. Désirée n'est guère faite pour devenir une princesse des ténèbres.

— Une princesse de l'ombre est plus conforme aux usages. Sa sagesse et son honnêteté feront de Forgotten Hollow un monde sans tumulte de tuerie. Je la porterai au trône.

— Désirée ne peut même pas concevoir de voir un peu de sang sous les ailes d'un dragon. Comment fera-t-elle pour se nourrir ? Car je suppose que vous espérez que je plante mes crocs dans son cou.

 

— Mon cher oncle, mettons cartes sur table... N'était-ce pas déjà votre intention lorsque vous vouliez faire de Désirée votre proie ? Vous avez promis la jeunesse éternelle à Laora Belle et passer un contrat avec elle et son amant.

— Vous étiez sur le bateau n'est-ce pas ?

— Oui.

— Certes, soupira Vlad. Ils ont dû passer à autre chose maintenant. Vincent Lombardi n'a pas cru un mot de ce que je lui ai dit.

— Je crains qu'ils trouvent le chemin de Forgotten Hollow, tôt ou tard. J'ai beaucoup appris d'eux. Ils sont mauvais.

Sa peau fine se réchauffant sous le soleil, Lyron regagna le manoir. 

 

 À peine avait-il fermé la porte que deux âmes errantes se présentèrent devant Vladislaus. Ils étaient vêtus d'une vieille défroque qui se portait jadis.

— Nous voilà de passage au manoir du vieux Vladislaus.

 Un individu aux cheveux longs et argentés demanda :

— Tu crois vraiment que la rose noire se cache ici ? 

— Où d'autre ? C'est l'héritage d'une gosse puissante... Funeste prédiction ou potins, quoi qu'il en soit, si on trouve l'un, on trouve l'autre.

 

— Faites comme si je n'étais pas là, rouspéta Vladislaus. Des membres du haut conseil ne sont pas ici les bienvenus. Il n'y a plus de loi. Par conséquent, je suis prêt à vous mettre une raclée et sans vous faire profiter de mon hospitalité. Je ne vous inviterais pas à entrer.

— Dommage tout de suite les grands mots, le voyage a été long, sourit perfidement la rousse. Vous n'êtes pas heureux de m'revoir le vieux ?

— Certainement pas Adélaïde. Fichez l'camp !

— Laissez-moi vous présenter Élios. Fils de Dimitri et de Missa d'une île lointaine, vos amis d'antan.

— Je les ai formés à se battre, rien de plus.

Vladislaus leur tourna le dos. Il savait ce que la rousse cherchait à faire ; capter son attention pour s'introduire furtivement à l'intérieur. Sans qu'ils s'en rendent compte, Vlad avait déjà fermé la porte « Que l'on m'apporte de l'ail ! » hurla-t-il à tue-tête.

 Windenburg. Seule à la maison, assise sur le canapé, Laora composa le numéro de téléphone de Vincent Lombardi pour la dixième fois aujourd'hui.

— Vincent, ça fait des jours que j'essaie de te joindre.

— Trésor, je suis en voyage d'affaires au Mont Komorebi. Je suis venu présenter des manteaux d'hiver pour le défilé de la saison. J'ai beaucoup à faire. Je dois encore sélectionner des modèles qui mettront mon talent en avant.

— Pourquoi tu ne m'as pas invitée ? Questionna-t-elle, en actionnant la caméra de son téléphone.

— Tu as des grosses joues trésor. Perds quelques kilos et peut-être qu'un jour tu monteras sur le podium.

— J'ai retrouvé le bouton.

— Parfait ! Sers-toi de tes dix doigts pour une fois, tu n'as plus qu'à le recoudre. Ensuite, avec du fil et une aiguille, tu brodes le nom de Liotta Conley sous le jupon. Et la robe d'époque rouge, tu t 'en débarrasse chez elle, dit-il avec une idée derrière la tête.  Je rentre bientôt, salut mes grosses joues d'amour !

 

 Chez Liotta, dans le couloir...

— Merci d'avoir accroché la carte Jaméson, dit-elle en admiration devant celle-ci.

— Il n'y a pas de quoi !

 

 Un sac à la main, Laora toquait à la vitre.

— Entrez ! S'écria Liotta.

Laora laissa son sac dans le couloir, près de la porte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

— Ce sont les terres fantastiques ! S'exclama Jaméson. Au sud, la petite île c'est Édénique, la terre la plus ancienne. Ici, c'est Terre-Royale, là d’où vous venez. L'école qui vous apprend la magie se cache à Glimmerbrook, mais vous le savez déjà. Les corbeaux, familiers des sorciers, viennent de Forgotten Hollow, que vous connaissez aussi, célèbre à travers le temps pour la légende de la Rose Noire. On raconte que Vladislaus a traversé toutes les frontières de siècle en siècle. J'ignore si c'est la vérité. Et là, on a Moonwood Mill, le nouveau repère des loups. Ces derniers ont fui Terre-Royale en creusant des galeries sous terre. Ce bout de terre qu'on voit à peine m'est inconnue. Vous voyez, tous ont un code ouvrant un portail. La princesse Valàne sera en mesure de les déchiffrer quand elle sera grande. Cette carte est un véritable trésor !

Jaméson s'aperçut qu'il était observé par-dessus son épaule « Je crois que vous avez de la visite, je vous laisse ».

 

 

— Je suis désolée de vous déranger, engagea Laora, avec son plus beau sourire. Je passais dans le coin prendre les pilules de mon père, affirma-t-elle, mensongèrement.

— Je n'en ai plus. Entrez dans le salon, invita Liotta. Je vais vous présenter Ruben, mon fils. C'est son anniversaire le 25, le jour de Noël. Vous n'aurez qu'à venir. J'ai envoyé une carte d'invitation à votre père. Comment va-t-il ?

— Je ne l'ai pas vue dernièrement, toujours occupé à donner aux autres.

— C'est un brave homme, gratifia la sorcière.

— J'aimerais qu'il le soit aussi avec moi. On ne se connaît pas vraiment Liotta.

— C'est vrai... Alors, vous avez pris la direction de l'orphelinat de Windenburg ?

 

— Non, répondit Laora. J'attends le feu vert de mon père. Il doit d'abord s'acquitter de la paperasse. Intéressant, ce que vous a raconté cet homme dans le couloir au sujet de cette carte.

— Voyons, ce ne sont que des contes pour enfants. Il aime raconter des histoires à Ruben. Même s'il est sourd, il a besoin d'attention.

— Puis-je emprunter vos toilettes ?

— Oui bien sûr, à l'étage au fond du couloir, indiqua Liotta.

 

 Laora saisit son sac dans l'entrée et monta précipitamment les escaliers. Elle ouvrit une porte au hasard. Une petite fille se plaignait dans son sommeil.

Elle entassa la robe d'époque rouge entre deux peluches imposantes. Laora sursauta lorsque Liotta ouvrit la porte.

— Vous n'avez rien à faire ici, réprimanda la sorcière.

— Pardon, je me suis trompée de porte.

 

— Je vais vous demander de partir maintenant, souligna Liotta.

— Oui, il est tard, répondit Laora. Rendez-vous le 25 !

 

 

 Liotta posa sa main sur le front de la petite fille.

— Tu es brûlante...  Allez chercher un gant mouillé dans la salle bain, s'il vous plaît Laora. Valàne a de la fièvre. C'est juste en sortant à droite.

— Valàne ?

— Dépêchez-vous !

— Oui, bien sûr...