Tard dans la nuit, Liotta rentra sur la pointe des pieds, les bras encombrés d'une carte vieillie qu'elle déposa sur un meuble dans le couloir. Elle tourna la poignée d'une porte qui s'ouvrait sur sa chambre. Jaméson berçait Ruben « Petit bonhomme, ta maman va revenir, soit tranquille, en attendant je m'occupe de toi. Je sais que tu ne m'entends pas, mais j'ai une chose à te dire. Je t'aime très fort ». Le petit garçon serrait son pouce entre ses doigts.

 

 « J'ai trouvé une pièce étrange dans la poche de son pantalon lorsque j'ai fouillé les alentours de votre maison ». Les mots de l'agent Dekarpel contrariaient Liotta. 

— Je ne vous ai pas entendue rentrer Liotta. Comment s'est passé le gala de charité ?

— Très bien Jaméson. Même si Laora Belle a laissé entendre qu'elle allait reprendre la direction de l'orphelinat de Windenburg. J'ai acheté une carte. Vous pourrez s'il vous plaît l'accrocher près de la porte quand vous aurez du temps ?

— Bien sûr. Vous êtes rentrée, alors je vais vous laisser avec votre fils et libérer votre chambre.

— Non restez là ! Je vais prendre une douche, dormir un peu et m'entraîner à monter sur mon balai. Je ne vais pas avoir une minute à moi, il faut aussi que j'étudie. Si vous êtes d'accord pour vous occuper de Ruben, je vous laisse ma chambre toute la semaine.

— Un lit douillet bien au chaud, comment refuser... Justement petit bonhomme, je vais te préparer un biberon de catégorie une dans l'art culinaire, tu m'en diras des nouvelles...

Liotta s'effaça.

 

 Immobile, Hirador éternua. Campé sur ses pattes, il luttait pour garder les yeux fermés. Mais quand la poussière s'invita dans ses paupières, il vit une chauve-souris suspendue à une barre sur laquelle des cintres vacillaient.

Autour, balai, chiffon et baquet à lessive vaquaient au service ménager du grand palais. Là où Liotta l'avait mis à l'abri. Hirador regarda le mammifère curieusement. Cette odeur qu'il dégageait lui était familière. 

 

 

 Lyron rebondit de tout son être.  

 — Très cher Hirador, je suis ravi de vous rencontrer cher ami. Je m'appelle Lyron Reaper, comte du château de la rose noire., frère cadet du Seigneur noir. Je vous propose de me suivre, là où je vous offrirais un endroit décent et des mets délicieux. Un majordome sera à votre service. Aussi, j'aurais l'immense honneur de vous présenter Désirée Belle. Ou préférez-vous rester au milieu de la poussière ? Peut-être souhaitez-vous rejoindre Faba la sorcière ? Celle qui a mis votre tête à prix, vous, qui êtes à l'effigie des dragodors.

Hirador grimpa sur son épaule.

 

 Cachée au coin d'un plafond, les yeux de Vladislaus roulaient entre le cadran de son téléphone et une araignée qui se balançait sur sa toile. Plusieurs fois annulé, son rendez-vous d'affaires se faisait maintenant silencieux. Il en était de mauvaise humeur.

Assis au fond d'un fauteuil rouge sombre, ses oreilles entendaient tout. 

 

 Dans le hall d'entrée, une valise trônait. Une pile de livres l'écrasait. Samuel sollicita l'attention de Daisy. Il chuchota :

— J'ai raconté à monsieur Vlad que toutes ces vieilleries étaient pour monter au grenier mademoiselle Daisy. Il n'en est rien, je vous ai préparé quelques affaires, juste le nécessaire. J'ai cru comprendre que vous vouliez retrouver votre père. 

— Oui, il n'est pas en bonne santé. Il se passe des choses ici, n'est-ce pas Samuel ?

 

— Cela ne fait aucun doute mademoiselle Daisy. Mes employeurs me font peur, surtout le baron Vladislaus. Il dort le jour. Il vit la nuit. Je suis épuisé. Et pourquoi monsieur Lyron vous enferme-t-il dans cette chambre ?

— Je ne sais pas vraiment Samuel, mais il est gentil avec moi.

— Fuyez... Regagnez la plage. Vous trouverez un moyen pour rentrer chez vous.

— Je vais probablement faire de la peine à Lyron.

— Vous êtes souvent malade depuis votre arrivée.

— Je ne le nie pas. Mais... Qu'est-ce que c'est ? Vous avez deux trous dans le cou. Ils saignent.

— Ils partent et ils reviennent, c'est curieux. Ne vous inquiétez pas pour moi, je suis un vieux monsieur solide.

 

 Nerveuse, Désirée entortilla son doigt autour d'une touffe de cheveux.

— Vous avez déjà entendu parler de la coutume des sangs-noirs ? 

— Non mademoiselle Daisy. Mais monsieur Vlad cherche une rose noire que j'aurais égarée. Il m'arrive de me coucher sans me souvenir de ce que j'ai fait la veille. Il m'arrive de me réveiller sans que je me rappelle comment j'ai regagné ma chambre.

— Vous êtes souffrant ?

— Non mademoiselle Daisy. Je crois que c'est autre chose.

— Je reviendrais vous chercher Samuel.  Je vous enverrai de l'aide, dès que j'aurais retrouvé mon père.

 

 

— Bonne chance. Soyez prudente.

Ils n'avaient guère une seule fois haussé le ton, et pourtant... Samuel tamponna vivement son cou avec un mouchoir.

Criarde fut la porte lorsque le majordome la referma. Il soupira. 

 

 Daisy avait oublié sa valise. 

 

 Vlad plissa les sourcils et se dressa comme un mur devant Samuel.

— Ne vous ai-je pas interdit de dialoguer avec mademoiselle Daisy ? 

Samuel baissa les yeux au sol.

— Je devrais peut-être me débarrasser de vous, continua Vlad. Vous en savez beaucoup.

— Ne me renvoyez pas monsieur. Je n'ai nulle part où aller.

— Ce petit détail m'était sorti de la tête. Le bateau sur lequel vous avez travaillé est à quai, vide, en panne. Mais je ne songeais guère à un renvoi.

 

 

 Hirador suivait la chauve-souris dans le noir de la nuit. Ils entamèrent une descente à grande vitesse. Le dragon noir était fier de courser un adversaire. Pattes à terre, Hirador se secoua énergiquement. L'aura noire qui l'entourait disparut. L'exercice lui avait manqué, au diable le jouet. Une fois bien en chair, Lyron ne put nier que le dragon à la cuirasse argentée était doué d'un talent supérieur.

 

 Hirador se tenait sur son épaule lorsque Lyron franchit la porte du château. Sur un ton mauvais, il questionna :

— Que se passe-t-il ? 

Vladislaus tentait de faire tomber le majordome dans des hallucinations à le rendre fou. Pendant une minute, Samuel sourit à la porte comme un idiot, prêt à lui vanter les courbes de la Joconde. Sans aucun doute, Lyron était arrivé à temps.

 

— Où étiez-vous passé mon cher neveu ? Demanda Vlad, hésitant à rattraper Désirée.

— Au grand palais, à Windenburg. Quelque chose à me dire Samuel ?

— Non. Tout va bien monsieur Lyron.

Samuel n'osa pas ouvrir la bouche. Il rencontra des yeux Hirador. Il ne put les détourner, il aurait pourtant voulu ne pas le voir. Le majordome ravala sa salive.

— Je vous présente Hirador, annonça Lyron. Mon oncle se montre-t-il hostile envers vous ?

— Puis-je aller dormir monsieur Lyron ? Il est quatre heures du matin. Je crois que mes problèmes oculaires me font de nouveau défaut.

Lyron lui fit un signe de la tête. Samuel se retira. Vlad scrutait le dragon avec un air d'en savoir long.

 

— Un dragon noir ! Le dragon de la maudite, précisa Vladislaus. Telle est surnommée Elizia depuis des décennies.

—  Hirador vient de chez nous.

— Mon cher neveu, écoutez donc ce que je dis, vous ne m'entendez pas ! Qu'ils soient farouches, étranges ou incommodants, des êtres extravagants et extraordinaires vivent là-bas, à Terre-Royale.

— Analogue à toutes ces histoires que vous m'avez racontées, mon oncle. 

— Vous avez beaucoup à apprendre mon cher neveu. J'aurais préféré que vous ne rameniez pas ce dragon ici. Il est à lui seul un bouclier contre la magie.

— Liotta me l'a confié. J'aimerais le présenter à Daisy. Est-elle endormie dans ses appartements ?

— Elle est partie. Et Samuel l'a aidée.

 

 Lyron quitta la maison si rapidement qu'Hirador se retrouva en mouvement à battre des ailes.

D'un coup d’œil circulaire, il chercha Désirée. Le désespoir l’enivra, la peur le paralysa, le tourment naquit. Il s'adressa au corps de pierre aux nuances verts-de-gris. 

 

 

 « Retrouve-la et protège-la Oscar ! ». La gargouille mua. Une peau visqueuse glissa jusqu'à tomber à même le sol. Ses yeux furibonds n'avaient ni pupille, ni iris. Ils étincelaient d'un rouge feu dans tout leur orbite. L'animal fantastique fit un bond. Ses veines paraissaient électriques. Ses doigts crochus et tranchants terminaient chacune des parties distinctes. Une arête dorsale articulait un dos couronné de piques. Oscar enjamba les pierres tombales et fonça dans le brouillard.

 

 

 Hôtel de Police, dans le laboratoire d'analyses, 8h00. 

Vêtue d'une blouse bleue, la scientifique était concentrée sur son travail.

— Bonjour Hiroko ! Tu as trouvé des empreintes sur le tableau de Désirée Belle ?

— Oui David, mais elles sont partielles et donc inexploitables. Ceci dit, j'ai mieux. J'ai trouvé six cheveux noirs sur le portrait de Désirée Belle. J'ai lancé une recherche ADN

— Des traces de pas ?

— Beaucoup trop, une vingtaine. J'ai également pris des photos de la peinture et des quatre coins de la salle où se trouvait le tableau de Daisy. Je te donnerai mon rapport dès qu'il sera terminé. Qu'est-ce que tu fais avec ce tube David ? Tu ne dois pas toucher à tout. Tu pourrais compromettre mon travail.

— Pardon Hiroko.

 

— Qu'est-ce qu'il y avait dans ce tube ? Interrogea David, touchant encore à ce qu'il ne fallait pas.

— Rien d'important, répondit la scientifique. Heureusement ! On a un résultat, voyons voir...

— Alors ? Questionna l'agent Dekarpel, impatient.

— Les brins de cheveux sont de bons marqueurs du patrimoine génétique. Il s'avère qu'on a un ADN. Celui-ci n'est pas humain. J'espère que la machine n'est pas en panne. 

— Eh merde ! S'exclama-t-il, en se claquant la main sur le front. Du neuf concernant Axelle Miller ?

— Le médecin légiste a procédé à l'autopsie. Cette pauvre fille a été vidé de son sang. 

 

— C'est une plaisanterie ?

— J'ai l'air de rigoler David ?

— Non. Il est préférable de rien dire à la presse, ni au Chef. 

— Je ne sais pas dans quelle affaire tu t'es embarqué, mais à ta place, je refilerais le dossier à quelqu'un d'autre !

— Allez viens... Je t'offre un café pour avoir compromis ton tube.