Les premières gelées recouvraient les vitres des fenêtres qu'on y voyait à peine à travers. Le froid s'invitait à Windenburg. L'hiver était proche. Assise à la table de la salle à manger, Laora Belle n'avait pas encore touché à son bol de céréales. Gabriel s'assit au côté de sa fille, vêtu d'une robe de chambre, les pieds enfoncés dans ses pantoufles.

— Bonjour Laora. Tu es déjà prête ? Il est à peine dix heures.

— J'ai décidé de reprendre le jogging.

— C'est bon pour la santé, je ne vais pas t'en dissuader.

— C'est surtout pour perdre des kilos papa.

 

— Mais enfin Laora tu n'es pas grosse du tout, répliqua Gabriel, sincèrement. Mange quelque chose s'il te plaît, il fait froid dehors.

— Tu le penses vraiment ?

— Bien sûr, regarde-toi dans un miroir. Tu es aussi jolie que ta sœur. J'ai aussi remarqué que tu avais arrêté de fumer. Je suis fier de toi.

— Mon petit ami dit sans cesse que je suis grosse. Il ment tu crois ?

— Oui, évidemment. Est-ce que tu vas me le présenter ?

— Non papa. 

 

— Dommage. Je le connais ? Interrogea Gabriel.

— Cela n'a pas d'importance, puisque de toute façon, je ne sais pas où on en est. Est-ce qu'il y a du nouveau concernant Désirée ?

— J'ai reçu un appel de l'agent Dekarpel dans la soirée d'hier. Il envoie une équipe fouiller les eaux du port, de long en large. Cela va prendre du temps, mais l'enquête se poursuit. Ta sœur te manque ? Tu sais que c'est son anniversaire aujourd'hui.

— Je sais.

Laora afficha une triste mine. Elle ajouta :

— Et maman est partie trop tôt. Tu n'as jamais voulu nous parler de sa mort. Pourquoi ?

— Je ne tiens pas à en parler. Tu fais beaucoup d'efforts dernièrement, dit-il, en changeant de sujet. Je trouve formidable que tu reprennes l'orphelinat de Windenburg. Tu m'as ému lors de la clôture du gala de charité.

 

 Elle, qui n'avait guère l'envie de manger l'instant d'avant, avala son bol de céréales, précipitamment. Laora relança :

— J'ai acheté un dragon noir lors du gala. Il a disparu, introuvable.

— Il me semble qu'il a été vendu par une directrice d'école, assez cher d'ailleurs. Mais ce jouet n'a pas d'importance...

— Je l'ai vu bouger !

— Allons ne dis pas de sottise...

Laora haussa le ton :

— Tu ne m'as jamais crue de toute façon ! Je l'ai acheté pour les enfants de l'orphelinat. C'est ça que tu préfères entendre... Je ne rentre pas ce soir. J'ai à faire, j'ai du travail. Je vais recruter une vieille qui supportera les pleurs de tous ces gosses ! Tu ne croyais quand même pas que j'allais faire tout le sale boulot...

Elle quitta la table si violemment que la chaise tomba. 

 

 Dehors, elle se mit à courir vite. Derrière le muret en pierres sèches, Laora se cacha pour se faire vomir.

 

 

 Perché sur un toit, ses pinces luisaient comme le fer sous le ciel bleu de Forgotten Hollow. Sur les traces de Désirée, Oscar se fit discret. Elle dormait à l'étroit sur un banc. Elle ouvrit les yeux, réveillée par le froid. Ses vêtements étaient encore humides à cause de la pluie qui était tombée durant la nuit. Elle frémit. D'un coup d’œil circulaire, Daisy découvrit une place à l'allure d'un square. Là où campaient des feuilles mortes sur des pavés en marbre. Sur celle-ci, entourée de luminaires, trônait une statue à l'effigie de Vlad. Elle trouva cela curieux. Un vacarme la sortit de ses pensées. Le toit d'une cabane en bois venait de s'effondrer.

 

 Oscar rampa jusqu'à Désirée Belle.

— Ne m'approchez pas ! S'exclama-t-elle, terrifiée.

Elle tourna la tête. Derrière elle, une maison en briques rouges semblait habiter. Elle aperçut une ombre derrière le carreau        «  Au secours ! » hurla-t-elle de désespoir. Les volets se fermèrent.

— Ne me faites pas de mal... Quoi que vous soyez... Qui que vous soyez !

 

 Les yeux au bord des larmes, Daisy sentit son cœur battre dans sa poitrine. Elle cessa de crier. Oscar, timidement, tapota son épaule, il sentit la pauvre chair.

Tel un bracelet de fer, il entoura son poignet, sans mal. Il la tira en avant. Daisy avança.

 

 Plus loin, elle s'arrêta lorsqu'une pluie fine et froide se mit à tomber. Le ciel s'assombrit. Oscar parut plus petit, courbant son dos vers l'avant. Mouillé par des gouttes d'eau, sa chair était translucide et électrique.

D'un coup dans le dos, il poussa Daisy. Elle comprit que le manoir était droit devant elle.

 

 Au-dessus de Windenburg, École de magie.

— Tu es en retard ! Réprimanda Siméon, sage de la magie pratique.

— Désolée paternel de mon cœur, répondit Liotta.

— J'ai mis un grimoire dans ton casier, il est à toi désormais.

— Tu as réussi à convaincre la directrice. Tu es génial !

— Non je l'ai acheté.

Deux élèves étudiaient assidûment dans la salle d'études.

 

 Liotta tendit l'oreille aux paroles déversées par un haut-parleur.

« C'est votre directrice qui vous parle. Chers étudiants en art magique, le périple sera long avant de devenir un grand jeteur de sorts. Les plus doués d'entre vous auront la chance d'enseigner dans notre école. L'académie comporte trois disciplines ; la magie pratique, la magie malicieuse et la magie indomptée. Elles sont présidées par nos talentueux sages Morgyn Ember, Siméon Silversweater et moi-même. L'alchimie a une place tout aussi importante. C'est pour cela que vous ne devez pas relâcher vos efforts et étudier. L'école possède un large choix d'ouvrages. Il est indispensable de les lire. Je déclare les épreuves éliminatoires ouvertes. Les apprentis sorciers sont à l'honneur aujourd'hui, quatre sont en course. Tentez quelque chose dans un chaudron. La création la moins banale sera récompensée. Le sujet gagnera le rang de néophyte, ainsi, il pourra continuer les épreuves et restera en course. Vous avez jusqu'à demain matin pour me présenter quelque chose de spécial. Faites jaillir le poivre et le sel de vos doigts, ou ce que vous voulez... À vos chaudrons ! ».

 

 Liotta s'assit à côté de Siméon, déjà désespérée avant d'avoir tenté quelque chose.

— J'ai déposé la liste de ce qu'il fallait rapporter dans ta boite aux lettres, relança le sage. Tu sais, cette liste d'ingrédients que t'avais demandés Faba.

— Saperlipopette, dit-elle maussadement. J'avais oublié. 

— Tu es incorrigible, soupira Siméon.

Une rousse douée de magie s'invita dans la salle d'études.

— Bonne chance la bleue ! Railla-t-elle.

— Il y a des élèves qui étudient, lança Siméon. Allez vous entraîner plus loin, s'il vous plaît. 

— Le beau gosse à côté du prof, fonce ! S'exclama la rousse. La bleue ne passera pas les épreuves éliminatoires.

 

— Je n'y arriverais jamais, se lamenta Liotta.

— Tu as le temps de bouquiner avant de te lancer dans une préparation quelconque, suggéra Siméon.

— Tu sais où est Valàne ? Je suis allée la voir au sous-sol. Elle n'est pas là.

— La rousse s'est plainte de ses pleurs à la directrice, expliqua le jeune sorcier, plongé dans son bouquin. Elle a déplacé son berceau tout en haut, dans la permanence où sont rangées les baguettes magiques défectueuses. Elle l'a dit à Morgyn Ember.

— Merci, répondit Liotta. Vous êtes nouveau ?

— Oui. Je fais partie des quatre participants en course. 

— Vous n'avez pas la tête d'un apprenti. Vous avez l'air même vachement concentré sur votre livre...

— Fais de même Liotta. Étudie ! S'exclama Siméon. Tu iras voir la petite plus tard...

 

 Liotta colla son nez contre la vitre de la bibliothèque.

— Mais c'est beaucoup trop gros ! 

 

 Compagnie maritime de Windenburg.

— Pardon de vous déranger madame. Je suis l'agent Dekarpel, de la police de Windenburg. J'enquête sur la disparition de Désirée Belle.

— Pauvre fille. On parle beaucoup d'elle aux infos. Je m'apprêtais à fermer. Je suis la cogérante de la compagnie maritime, Agnès. Que puis-je faire pour vous ?

— Avez-vous gardé une trace de la liste des passagers qui ont embarqué à bord du Newcrestic, au printemps dernier ?

— Laissez-moi une minute ! Je monte à l'étage consulter les archives.

— Merci.

 

 Arrivée au manoir, Désirée monta les marches de l'escalier. Lyron l'attendait sur le pas de la porte. Le soir tombait.

— Bienvenue à la maison Désirée Belle.

— Qu'est-ce que c'est que cette mascarade Lyron ? Où suis-je ?

Pour la première fois, il voyait Daisy fichtrement en colère. Il la trouvait encore plus belle. Elle reprit :

— Des gens ont vu cette chose m'escorter jusqu'ici sans lever le petit doigt. Je veux des explications !

— Merci Oscar. Tu es bien sage. Tu peux te replier et retourner sur ta stèle.

 

 

 Il n'obéit pas.

— Pardon jolie Daisy. Pardon, s'excusa Lyron, d'une voix envoûtante.

Lyron caressa la joue de la belle aux cheveux noirs.

 

 

 Les yeux de Désirée se dilatèrent. Oscar ne la quittait pas d'un œil.

— Retourne te coucher Oscar ! Insista Lyron, sur un ton loin d'être cordial.

Daisy regarda l'animal. Il fit un bond, s'assombrit trônant sur sa stèle et sa vision rouge s'éteignit.

Elle sombra dans le néant, les images d'Oscar dans la tête.

— Oubliez votre fugue belle demoiselle. Nous avons fêté vos dix-huit ans aujourd'hui même, devant un grand dîner, en tête-à-tête... Quant à Oscar, il n'existe pas !

 

— Pardon pour l'attente monsieur Dekarpel. J'ai trouvé ce que vous vouliez. C'est sur une clef USB. Vous voulez une copie ?

— S'il vous plaît, oui. Vous savez ce qui a pu mettre ce bateau en panne ?

— Une expertise a été faite, déclara Agnès. Des cadavres de chauves-souris ont été retrouvées dans la roue à aubes. Il y en avait un nombre considérable.

— Vous ne trouvez pas cela curieux ?

— Bien sûr que si. Certains des passagers ont rapporté qu'elles s'étaient montrées en journée. Elles sont généralement nocturnes il me semble. Désirée Belle a disparu en mer, mais aussi Samuel Johnson. Le Newcrestic était sa nouvelle maison. Personne ne s'en est soucié, il n'avait pas de famille. 

 

 L'agent David Dekarpel se souvint de cette chauve-souris qu'il avait vu dehors avant la vente aux enchères. Vincent Lombardi l'avait alerté hurlant à tue-tête qu'il avait vu le voleur.

L'homme d'affaires avait précisé qu'il avait des yeux particuliers. Le flic questionna :

 

— Agnès, vous croyez au surnaturel ou au paranormal ?

— Non monsieur ! Ces chauves-souris ont certainement été délogées de leur nid par erreur. Si ça peut vous aider, des professionnels et des ingénieurs travaillent jour et nuit sur le Newcrestic. Ils pourront répondre à vos questions. La roue à aubes va être remplacée par des moteurs. 

Perplexe, David continua :

— Ce genre de bateau plaisait aux touristes...

— C'était l'idée, un bateau d'époque... Voici une copie de la clef  USB monsieur Dekarpel.

— Merci bien ! Voyez-vous, j'aurais aimé la consulter maintenant, mais j'ai encore paumé ce monocle qui m'aide à y voir clair.

 

 Non loin du Newcretic, Laora Belle regarda autour d'elle, personne. Elle se faufila habilement dans le bateau.

 

 

 Un aspirateur bruyant allait et venait sur un tapis dans le long couloir. Elle pria pour que le bouton de sa robe rouge avait été avalé, où qu'il soit. Laora Belle entendit une femme de ménage discuter avec une autre, elle se faufila dans une cabine. Elle constata que celle-ci était propre, que les draps de lit avaient été changés. Un bouquet dans un vase parfumait la pièce. Sans aucun doute, le Newcrestic allait repartir en croisière d'ici peu.

Elle se regarda dans le miroir. Ses pensées retournèrent à bord du bateau, au printemps dernier...

 

 … Sur le pont, elle était vêtue d'un maillot de bain blanc, d'un chapeau et de lunettes teintées. C'était une belle après-midi ensoleillée. Lorsqu'il avait vu Laora allongée sur un transat, Vincent Lombardi avait fait les gros yeux.

— Tu peux me passer de la crème sur les épaules ? Mais avant apporte-moi quelque chose à boire.

— Tu es une passagère clandestine. Tu n'as rien à faire ici.

— La soute à bagages est irrespirable.

— Je te prie de retourner à l'abri des regards.

— Tu n'as rien à craindre. Tout le monde croira que je suis Désirée.

— Elle n'est pas aussi grosse que toi.

 

— Ne t'en va pas Vincent. Va me chercher quelque chose à boire.

— Ta sœur m'attend. J'ai hâte de la mettre dans mon lit.

— Tu vas la noyer dans la baignoire et tu penses à cela ?

— Retourne dans la soute à bagages ou tu le paieras cher à la prochaine escale.

— Vincent, j'ai peur. Il y a une chauve-souris.

— Tu as même peur de ton ombre. C'est ton haleine qui doit l'attirer...

 

 En pleurs, Laora Belle avait traversé un long couloir pour regagner la soute à bagages quand ses yeux avaient croisé un bureau d'ordinateur, ouvert au public. Il était allumé. Elle avait pris place, assise dans un fauteuil confortable. Une étrange rose noire avait envahie l'écran. Elle avait d'abord crue à un virus, puis une fenêtre s'était ouverte. Un message en particulier avait éveillé sa curiosité.

Posté par V

Cherche une proie contre la vie éternelle.

Réponse :

   → Je m'appelle Désirée Belle, cheveux noirs, taille moyenne, ouverte d'esprit. J'accepte votre proposition. On peut se voir ?

Posté par V

Je viendrais à vous.

Réponse :

   → C'est impossible. Je suis clandestine à bord du bateau, le Newcrestic.

Posté par V

Rien n'est impossible. Cette nuit, rendez-vous sur le pont, à minuit.