L'agent Dekarpel cherchait des indices au domicile d'Axelle Miller. Après une fouille minutieuse au rez-de-chaussée, il monta à l'étage. L'expédition policière entamée, un collègue ouvrit et referma rapidement les tiroirs d'une table de chevet. Un ticket de voyage s'échappa. David s'empressa de le photographier.

— Un billet pour une croisière, constata-t-il, dans la lentille de son objectif.

— Laisse-moi deviner... Une croisière à bord du Newcrestic ? Questionna son collègue.

— La mort d'Axelle Miller me semble étroitement liée à la disparition de Désirée Belle.

— Je suis d'accord, cette pauvre employée a certainement été assassinée. Crime passionnel ?

— Jalousie ? Argent ?

Elles attendaient dans le couloir. D'un geste de la main, l'agent Dekarpel encouragea les deux jeunes filles à entrer.

 

— Je suis désolé du dérangement, mais je suis dans l'obligation de mener mon enquête. J'ai terminé mon inspection. Axelle Miller habitait une maison bien colorée... Je dois vous poser quelques questions maintenant.

— Faites votre travail monsieur l'agent, dit poliment la jeune fille, assise sur un lit drapé de rose. Nous sommes les cousines d'Axelle. Sa mort est incompréhensible. Elle était gentille avec tout le monde. Nous avions cette passion en commun, la mode...

— Votre cousine était mariée, un petit ami ?

— Oui ! S'exclama l'autre à côté de David Dekarpel. Axelle voyait Vincent Lombardi. Ils avaient une liaison.

La brune ferma les yeux :

— C'était un secret. Elle ne voulait pas qu'on en parle. Je pense qu'il voyait plusieurs filles à la fois.

— Je n'ai toujours pas remis la main sur ce satané verre correcteur. Voulez-vous s'il vous plait écrire quelques notes à ma place, là, sur mon carnet.

La cousine le regarda d'un air culotté, mais elle s'exécuta.

 

 

Liotta ressassa les mots de sa grande sœur « Tu es ma fierté » m'a-t-elle dit. Elle accourut et saisit le volume un de "magietical" dans la bibliothèque du quartier général, les yeux remplis d'espoir.    

— Équinoxe ! S'exclama-t-elle à haute voix. Chacun des deux moments de l'année où, le soleil se trouvant, au cours de sa trajectoire apparente sur la sphère céleste, dans le plan de l'équateur, le jour a une durée égale à celle de la nuit sur toute la terre.

Elle tourna une page. « Précession des équinoxes : Mouvement rétrograde des équinoxes sur l'écliptique, dû à l'action combinée du soleil et de la lune sur le renflement du globe terrestre à l'équateur ». Elle lut plus bas « ASTRONOMIE ; le moment défini par l'intersection de l'écliptique et de l'équateur ». Liotta referma le bouquin. Telle une victime coincée au milieu du brouillard, elle hurla :

 — What ???

 

— Liotta Conley ! Blâma la directrice, se tenant aux aguets dans l'embrasure. Ce n'est pas le moment de travailler votre anglais. Un avertissement vous pend au nez depuis longtemps. Cette fois, je vous le donne ! 

Liotta se précipita :

— S'il vous plait, non...

— Il y a sur la fiche d'inscription de Jaméson Roussel du gribouillage. Il a osé me dessiner avec une moustache. De plus, il a écrit qu'il habitait sous le peuplier après la maison près du pont. Il se moque de moi ! Le tout est rayé au crayon de bois et il a vulgairement noté votre adresse. La fiche est un vrai torchon raturé et sale.

— Je vais vous expliquer. Il n'a pas de maison... 

 

— Je refuse qu'il remette les pieds ici ! Jaméson Roussel, l'intoxication alimentaire et les deux gamins c'en est trop !

— Je suis désolée.

— Vous serez de corvée pour aller chercher mandragores, champignons, écailles de dragon, peau de gargouille ect... Tout ce qu'on trouve ici et ailleurs. Nous en avons besoin pour les épreuves. Consultez la liste auprès de l'as de pique, je ne vais pas vous mâcher le travail. Apprenez vite à monter sur votre balai ! Dans le cas contraire, vous ne participerez pas aux épreuves.

— Bien, répondit-elle maussadement.

— Rentrez chez vous, la psy est en route... Et allez faire vos adieux à la princesse Valàne. Il n'y a pas de place pour cette gamine ici !

 

— Je pourrai l'emmener et m'occuper d'elle ?

— Hors de question ! Une gemme suffira à payer sa place dans un orphelinat. Je garde le reste du trésor. J'ai fouillé le coffre avec lequel est arrivée cette gamine. J'ai trouvé des lettres de sa mère. Celles-ci portent le sceau de Terre-Royale. J'ai cherché sur toutes les cartes des mortels, inconnu au bataillon. L'une de ces lettres est à faire pleurer, elle précise que la princesse est née le 12 Hiver. Ces lettres n'ont pas d'importance. Elles resteront dans la chambre secrète avec le coffre et la gamine n'en aura jamais connaissance.

— Vous n'avez pas le droit de faire ça... C'est tout ce qu'il lui reste de ses origines.

— Je suis la directrice et c'est moi qui commande !

Faba quitta la salle en disant un dernier mot « la princesse est au sous-sol ».

 

 Une petite mine lui fit un sourire lorsqu'elle se pencha au-dessus du berceau. 

« Bonjour toi » chuchota Liotta, prenant l'enfant dans ses bras. Tel un chaton en boule, le dragon noir resta sans bouger. 

— Je sais qui tu es Hirador. Tu peux te dégourdir les pattes. Il n'y a personne. 

Il déploya ses ailes, agrippa le bord du berceau et s'élança fièrement.

— Comment je vais faire pour te conduire à tonton Lyron, moi ? En attendant que je trouve une solution, fais-toi discrète petite sang-noire. 

Souple comme un acrobate et rapide comme un faucon, Liotta était admirative devant les pirouettes d'Hirador « C'est le moment la babiole, je t'emmène avec moi ».

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                         

Il atterrit précipitamment et secoua la tête. Il avait des yeux battus, si tristes... Liotta embrassa Valàne sur la joue avant de la remettre au lit.

— On va apprendre à se connaître Hirador, chuchota Liotta. Ma grande sœur veut que je m'occupe de toi...

Il se recoucha auprès de Valàne et la couvrit de son aile déployée.

— Je vois... Tu veux rester avec la fille !

 

 Sur le point de quitter l'école, vibra le téléphone de Liotta.

 — Vous êtes sur la messagerie de l'apprentie sorcière et je suis indisponible pour le moment. Merci de laisser un message après le bip sonore... Bip bip bip.

 — Très drôle ! Bonjour Liotta.

— Lyron !

— J'ai besoin de ton aide. Peux-tu m'apporter de quoi me nourrir en usant de ta magie ?

— Je suis rouillée ces temps-ci, mais je vais essayer... On fait comme d'habitude, je remplace le contenu des briques de jus d'orange par du liquide rouge. Où veux-tu être livré ?

 

— Au grand palais. Je serai officieusement présent pendant le gala de charité donné par monsieur Gabriel Belle. Dépose la marchandise près du tableau de Désirée. Ils penseront que c'est un simple oubli de la part d'un barman.

— Qu'est-ce que tu as fait Lyron ?

Il changea de sujet :

— La sphère magique diminue de jour en jour...

— Je t'avais dit qu'elle n'était pas éternelle. Il faut que je te voie Lyron. J'ai quelque chose d'important à te dire...

 

 De retour chez elle, le soir même, Liotta nota sur un calendrier la date d'anniversaire de Valàne, le 12 Hiver. 

— J'ai vu ma sœur, merci Jaméson !

— Il n'y a pas de quoi... Alors selon vous, Valàne est née le 12 Hiver et Ruben le 25.

Liotta rapporta à Jaméson les dires de la directrice. Elle reprit :

— J'ai fait des calculs en m'appuyant sur ce que m'a dit le doc l'autre jour, Ruben serait donc né le 25 Hiver. La directrice veut placer la fille dans un orphelinat et lui voler son trésor. Il faut que je trouve un moyen pour qu'elle retrouve son oncle.

— Kidnapper la petite ! S'exclama-t-il en plaisantant.

— Vous n'êtes pas sérieux, j'ai récolté mon premier avertissement. La directrice ne veut plus que vous remettiez les pieds à l'école, je suis désolée Jaméson. 

— Ça m'est égal ! J'aurai plus de temps pour Ruben et pour vous aider à vous entraîner.

— Restez ici, ce soir... Ma chambre d'amis sera plus confortable que votre tente trouée de partout...

— D'accord, répondit-il, hésitant.

— Cette chemise vous va comme un gant !

— Votre dîner est prêt, dans la cuisine...

 

 

 La sonnette retentit. Liotta ouvrit la porte.

— Bonsoir l'apprentie sorcière...

— Il est tard Hélène. Mon fils a faim et je dois étudier.

— Justement ! Il est question de lui. La directrice doute de vos capacités. Vous savez que je joue un rôle secondaire au sein de l'école en tant qu'assistante sociale. Je ne parle pas de l'intoxication alimentaire qui m'a affreusement fait vomir. Ruben boit du lait, ne mettez pas de mort-aux-rats dans son biberon, dit-elle d'une hideuse franchise.

— Vous exagérez...

La psychologue entra sans invitation.

 

 

 Elle s'assura que la couche de Ruben était propre.

— Il faut le changer plus souvent !

— Je le baigne tous les jours... et sa couche est propre.

— Trop de pipi. Où est sa chambre ?

— C'est un projet d'aménagement. J'aimerais lui faire une belle chambre, peinte d'un bleu étoilé. J'ai commandé du mobilier neuf. Il n'est pas encore arrivé.

— Alors où dort-il ?

— Dans ma chambre, la nuit. Le jour je l'installe ici, il n'est jamais seul. Un ami s'occupe de lui pendant mon absence. On prend soin du garçon. Je veux lui offrir l'amour dont j'ai manqué...

— Comme c'est touchant !

 

 

 Hélène s'invita dans la cuisine.

— Elle est insalubre !

— Une assiette sale ne veut pas dire que ma cuisine est mal tenue. La vaisselle n'est pas faite parce que je n'ai pas encore mangé.

— Qu'en est-il de vos cauchemars ?

— Je n'en fais plus depuis quelque temps.

— Je pense que vous êtes instable Liotta ! Lors de nos derniers rendez-vous, vous étiez complexée par vos cicatrices et vous souffriez de l'absence de votre sœur. Où est-elle ?

— Je ne peux pas vous répondre.

— Une sœur imaginaire ?

— Partez de chez moi et ne remettez plus les pieds ici !

Liotta poussa vulgairement la psychologue, jusqu'à la sortie. Elle lui claqua la porte au nez.

 

 

 Un tapis de feuilles mortes revêtait le jardin. En ce matin d'automne, dehors, une brume légère se dissipait.

— Papa tu n'aurais pas trouvé un bouton par hasard ? 

— Un bouton ? Bonjour Laora. Oui merci, j'ai bien dormi...

— Bonjour. Est-ce que tu as bien dormi ?

— Tu vois que ce n'est pas si compliqué... J'aimerais vraiment qu'on s'entende toi et moi.

— J'ai fait tout ce que tu m'as demandé. Les locaux du grand palais ont été généreusement prêtés par le Maire de Windenburg. J'ai engagé du personnel et le traiteur arrivera vers dix heures. Tous les tableaux sont installés, ils viennent de partout. Une vente aux enchères clôturera le gala de charité. Je suis prête ! Comment trouves-tu ma robe ?

 

— Ta robe ! Je me moque de ce que tu portes Laora. Cela n'a aucune importance à côté des enfants qui sont dans la rue ou qui meurent de faim. C'est un grand jour aujourd'hui ! J'espère que nous récolterons assez de fonds pour sauver l'orphelinat de Windenburg.

— Je voulais seulement que tu t'intéresses un peu à moi...

— Est-ce que tu as trouvé du travail ? Non. Tu te limes les ongles toute la journée et tu passes tes nuits sur ton téléphone. Serais-tu prête à reprendre l'orphelinat, si les fonds gagnés le permettent ?

— Je... Je...

— Je prendrai un taxi pour aller au grand palais. Je dois être là avant les invités.

— Je peux t'y emmener ?

— Non !

 

 Un parfum de lavande entourait le grand palais. Prêté pour l'occasion, il brillait de mille feux s'ouvrant sur des vastes jardins. Derrière le bâtiment, Liotta fit un atterrissage presque parfait quand elle glissa sur l'herbe humide. Elle camoufla son balai derrière un grand sapin. Dans une main, elle tint ses chaussures, dans l'autre, des briquettes en carton rafraîchies de sang. Elle fila à la recherche du tableau de Désirée Belle.

 

 

 Gabriel peina à descendre les escaliers. En bas, il salua l'agent Dekarpel.

— Vous vous joignez à nous monsieur l'agent ?

— Avec grand plaisir. Je me suis dit que ma présence ne serait pas de trop ! Il ne faut pas abuser de vos pilules monsieur Belle. Aujourd'hui est un événement qui vous tient à cœur. Un tableau de ma grand-mère se trouve à l'intérieur de ce bâtiment. J'espère qu'il vous rapportera quelques sous. Vous pourriez l'acheter monsieur Lombardi ? Je suis certain que cela apporterait quelques bénéfices satisfaisants afin de sauver l'orphelinat de notre ville.

Vincent Lombardi le regarda, l'œil en coin :

— Je ne suis pas intéressé par la peinture.

— Alors que faites-vous là ?

— Monsieur Belle souffre, il a mal au dos. Je suis là pour récupérer l'argent liquide, si toutefois on lui en faisait don.

— Allons faire le tour de cette galerie mes amis, encouragea Gab. Nous prendrons ensuite un verre...

Fuyant les questions de David Dekarpel, Vincent Lombardi aida le vieil homme à remonter les escaliers.

 

— Dites-moi mademoiselle Belle, avez-vous retrouvé le bouton de votre jolie robe rouge ?

— Votre question n'a aucun intérêt !

— Voyez-vous le Newcrestic est à quai depuis le printemps. Les chambres n'ont pas été nettoyées, les draps n'ont pas été changés et personne ne peut y entrer. Et si un bal costumé avait été donné à bord ? Liotta Conley vous a vue vêtue d'une robe d'époque lorsque vous êtes revenue chez votre père. Je pense que vous étiez à bord de ce bateau. Je crois que vous n'avez jamais quitté Windenburg. Et je présume que ce bouton se trouve à bord du Newcrestic.

— Vous n'avez pas de preuve monsieur l'agent !

 

 

 À l'abri des regards, son téléphone en main " Voulez-vous effacer ces deux cent quarante-trois messages ? "

Vincent Lombardi les supprima, l'un après l'autre.

 

 Lorsque des pas se firent entendre, Liotta plongea le nez dans la description fidèle de plusieurs tableaux. Elle récita n’importe quoi en y mettant le ton « Prince à la cravate rouge... Vue sur la mer salée... Fruits à manger dans une corbeille...

— Cette exposition n'est pas ouverte au public... Je suis ravi de vous revoir Liotta !

— Bonjour monsieur l'agent, répondit-elle, pessimiste.

— Vous avez entendu ?

— Non...

— Dites-moi... Un détail me chiffonne et j'ai une question à vous poser. Où est né votre petit garçon ? 

— Excusez-moi. Il faut que j'aille me laver les jambes.

Il remarqua des brins d'herbe fraîchement coupés et collés sur la peau de Liotta. Il crut voir une ombre dans la salle d'à côté. Il avança prudemment...

 

 

Laora Belle cherchait Vincent Lombardi. Elle sentit une présence derrière elle, persuadée qu'il n'y avait personne l'instant d'avant.

— Apportez-moi un verre de Champagne barman !

 

Il ajusta son monocle posé sous l'arcade sourcilière.

 — Ça par exemple !

Source CNTRL ; Équinoxe