Laora salua Vincent Lombardi sur un ton embarrassé, lui s'exprima bien aisé :

— Je t'avais dit de ne pas revenir ici !

Le café sans sucre lui avait laissé tel un goût mauvais. Il remonta dans sa belle voiture et partit en trombe. 

 

 Isolé dans sa chambre, à l'étage, Gab saisit la photo de Désirée dans un tiroir de la commode. Il la regarda, assis sur son lit, peiné.

Il composa un numéro sur le cadran de son téléphone, le premier d'une longue liste.
— Secrétariat de l'hôpital de Windenburg, Lucy à votre service...

Et ce fut un timbre de voix tremblant qui interrogea :
— Bonjour. Avez-vous reçu une entrée répondant au nom de Désirée Belle ?
— Monsieur Gabriel Belle, quelle bonne surprise ! La direction vous remercie pour le don généreux que vous nous avez adressé dernièrement.
— Je vous en prie. Je cherche ma petite fille, Daisy.
Ses doigts pianotèrent les touches de son clavier « Non monsieur, je suis désolée, votre fille n'est pas ici ».

Il raccrocha.

   

 — Je vous entends Lyron. Laissez-moi sortir de cette chambre, immédiatement !

Point d'éloquence dans sa voix, Lyron ouvrit tout grand les yeux. Vladislaus secoua promptement la tête comme pour chasser une araignée rebelle.

— Voilà une insulte bel et bien mordante mon cher neveu. Ouvrez donc !

 

 Il tourna la clé dans la serrure. La porte à peine ouverte et Désirée cognait à poings fermés sur son torse. Costume deux pièces, chapeau haut de forme et nœud papillon bien serré, l'oncle épiait.

— Je meurs de faim Lyron...
— Oh ! Cela est négligence de ma part, dit-il sur un ton presque coupable. Pardonnez-moi. Je n'oublierai plus.
— Oublier ?

 

 Délicatement, il enlaça ses mains. Ce froid qu'elles dégageaient la saisit d'un tremblement des pieds à la tête. Ce chaud qui accompagna Lyron le saisit d'une peur nouvelle.

Elle demanda timidement :
— Quel genre d'homme enferme une demoiselle pendant son sommeil ?

 

 Vlad s'invita :

— Jadis mon amante ne se plaignait guère. La proie aurait-elle mauvais caractère ?

 

— La proie ? Je suis une demoiselle, une jeune femme.

— C'est ce qu'il a voulu dire, interrompit Lyron. N'est-ce pas mon oncle ?
— Bien entendu. Nous n'avons pas été présentés. Baron du château de la Rose Noire, Vladislaus.
— Désirée Belle. Je veux téléphoner à mon père.
— Très chère, allons à l'étage inférieur près du feu. Vous semblez grelotter, je me trompe ?
— J'ai trouvé à mon réveil cette tunique qui couvre à peine mon corps. Il fait froid ici.

Penché était Lyron sur les boutons ouverts qui découvraient le cou de la belle.

 

 Tous trois descendirent l'escalier.

Vladislaus regardait Daisy avec dégoût « La proie est de première jeunesse, c'est effrayant ». Elle n'entendit rien. Lyron encaissa sans mot dire.

Si lui et son oncle s'éloignèrent du feu devant la cheminée, Daisy s'en rapprocha au plus près. Elle s'installa sur une assise de velours olive.  Accrochés au mur, les beaux tableaux lui arrachèrent un sourire.

 

 La curiosité sollicita Vlad :

— Vous aimez l'art Désirée ?
— Oui, tout comme mon père.
— Voilà que nous sommes d'accord, qui l'aurait cru... Avez-vous connu Pabli Micasso ? C'était un ami, un peintre exceptionnel.

 

— Excusez-moi monsieur Vladislaus, il aurait deux cent quarante ans aujourd'hui.

— Vlad conviendra parfaitement ma chère enfant.
— Vous ne pouvez pas avoir connu Pabli Micasso. J'ai étudié sa biographie. J'aimerais bien d'ailleurs visiter une galerie d'art exposant ses peintures, ou seulement quelques-unes. Mon père me l'avait promis pour mon dix-huitième anniversaire.
— Le saviez-vous ? Mon neveu est un peintre brillant !

   

Et sur un ton langoureux, Lyron articula lentement :
— Je n'ai jamais peint la beauté parfaite. Me feriez-vous cet honneur Désirée Belle ?

Fascinée par ses yeux vifs, par son regard étrange, elle répondit, timide :
— Oui. Est-ce que je peux téléphoner à mon père ?

 

  

— Je suis navré jeune fille, il n'y a point de téléphone au manoir, ni de ces machines algorithmiques qui me perturbent quelque peu, confia Vladislaus.
— Je pourrais vous apprendre, proposa Daisy.
Elle s'approcha d'un tableau pour le contempler de plus près.

L'oncle Vlad la regarda comme une maigre araignée à trois poils qu'il ne pourrait guère domestiquer.
— Notre coutume est différente de la vôtre jolie Daisy. Je vais m'absenter, avertit Lyron. Il vous faut la plus noble des robes pour que  je puisse réaliser le plus beau des portraits. Il va de soi que votre séjour au manoir doit se prolonger.
— Parfaite idée ! S'exclama joyeusement l'oncle Vlad. Samuel va vous préparer... voyons... Qu'avons-nous dans le jardin ? Une salade  de pissenlits jeune fille, cela est-il à votre goût ?
— Je m'en contenterai.

 

 Cassées étaient les fenêtres d'un bâtiment dans l'allée des jeteurs de sorts. Des bribes volaient ici et là. Des pans de mur écroulés     attiraient l'œil comme si la guerre avait fait ravage. Une fumée de porphyre s'échappait d'une cheminée. Céans, pas comme partout, on achetait livres, baguettes, cristaux et balais. Ils se marchandaient au même titre que les ingrédients de potion.

Sages et sorciers se disputaient les meilleurs familiers, leurs Orbes s'arrachaient à prix d'or. Les duels n'effrayaient guère pour se les approprier. Un portail estampé de trois runes rappelait la puissance des mages. Il s'ouvrait sur une longue allée en pavés surplombée de lampadaires.

 

 

 Des cris d'enfant alertèrent les passants. Ils se penchèrent sur le coffre. Elle fut apeurée.

— Quel teint blême ! S'exclama la blonde.

Lettres, variétés de gemmes, bijoux et pièces anciennes mettaient au jour un trésor. Les pierres précieuses ne manquaient pas de piquant. Bienveillant, il installa l'enfant sur sa couverture disposée en plis harmonieux « Une perle rare » remarqua l'as de pique.

 

 

 Jaméson Roussel s'approcha d'un dépôt le plus près.

— Excusez-moi. Savez-vous où je peux trouver Liotta Conley ?
— Vous ne pouvez pas la rater. Elle a des cicatrices sur le visage, les cheveux noirs, courts...
— Inutile de continuer, merci. Des meubles qui volent, des murs cassés, c'est normal ?
— Rien de plus banal. Vous êtes nouveau ?

Il fuit le spectre lorsqu'il voulut lui serrer la main. Jaméson Roussel se mêla à une conversation un peu plus loin.

 

 Il s'approcha du coffre « Vous lui faites peur ! ».

— Elle doit avoir faim, supposa Liotta.
— Vous avez vu la couverture ? Un prénom est brodé sur le revers blanc. Oh... attendez ! C'est cousu Princesse Valàne, une perle noire orne le point du i.
— Vous pensez que cela veut dire quelque chose ? Demanda Liotta.
— Peut-être, répondit Jaméson. En tout cas, elle va attirer les curieux et susciter la jalousie, cette petite fille est riche.

 

 Ce fut dans ses bras qu'elle cessa ses pleurs « Trouvez-lui un berceau confortable ».

La blonde emmena l'enfant. L'as de pique emporta le coffre.

 

 

— Liotta Conley ?

— Oui c'est moi. Comment cela est-il possible ? Un trésor a traversé le portail avec une princesse.
— Je ne sais pas. Je me présente, Jaméson Roussel.
— Elle est arrivée de la même façon que le garçon, par un portail..
— J'ai eu vent de cette histoire, tout le monde en parle. J'ai passé l'épreuve des sept particules et j'attends mon admission, tout le monde semble trop occupé. À ce propos, les mages vous cherchent.
— S'il vous plaît, dites-leur que c'est vous qui avez trouvé la fille ou je vais avoir des ennuis...

 

 

 Présidente de l'académie, L.Faba sondait du regard tous ses sujets avec un air de méchanceté.

— Mage Ember, vous avez demandé à me voir ?
— C'est exact madame. Un petit garçon du nom de Ruben est arrivé par le portail sud. J'ai demandé à Liotta Conley de le ramener chez elle.
— Pourquoi mage Ember ? De quel droit ?

 

 

 — C'est vous la directrice, j'entends bien. La situation économique de l'école n'est pas à son avantage. Puisque la maison de Liotta est grande et lui a été gracieusement offerte par l'attachement que lui porte l'as de pique, je me suis dit, pourquoi pas...

— Je prends les décisions dans cette académie comme bon me semble. L'enfant a-t-il des particularités ?
— Je ne sais pas madame. Un pédiatre s'occupe de lui.
— Il peut rentrer avec Liotta. Je ne veux pas que l'as de pique dépense le peu qui nous reste !

 

 

 Sage de la magie pratique, Simeon Silversweater était surnommé l'as de pique. Il aimait se tamponner les rondeurs à l'excès. Ses accoutrements dépouillés étaient jugés comme dénués de style par la directrice et certains initiés.

Il s'imposa :
— Une fille est arrivée par le portail nord, pleine aux as !
— Expliquez-vous, ordonna la directrice.
— Comme pour le garçon, elle est arrivée par un portail, mais avec un trésor.
— Liotta Conley mérite un avertissement. Elle est responsable ! S'exclama Morgyn Ember, l'œil en coin. Il faut trouver un moyen pour fermer les portails.
— Ils déploient l'énergie dont nous avons besoin, lui fit remarquer la directrice. Cela n'est pas envisageable. J'ai besoin de réfléchir. Que le coffre soit descendu dans la chambre secrète.
— Princesse Valàne est brodée sur sa couverture, ajouta Simeon. C'est un bébé.
— Qu'on apporte à cette enfant tous les soins qu'il est possible de faire.

 

 

 Oublié dans un coin, la directrice attrapa le dragon noir par le cou « Que ce jouet l'accompagne ! ».

 

 

 Il défendait sa peau entre deux soleils. Trop fine était-elle, il craignait la mort. Il rit sous cape, sous ses plis de chauve-souris.

Tombé du haut de son orgueil, nul ne le vit.

 

 La collection de prêt-à-porter printemps-été attirait l'œil. Elle n'était ni mal ajustée, ni mal disposée sur les étales derrière la vitrine. Les confections de Vincent Lombardi portaient sa griffe et la concurrence s'annonçait rude pour la saison.

Il se démarquait pourtant des autres avec ses accessoires divers et ses pièces d'étoffes aux couleurs froides, chaudes... Certes, hors de prix. Ses inédits inabordables faisaient sa notoriété.
Au téléphone, il huait derrière le comptoir-caisse. Son rendez-vous d'affaires lui avait fait faux-bond.

 

 

 Lyron poussa la porte vitrée. Vincent Lombardi entassa son téléphone dans la poche de son pantalon.

Une odeur fraîche se répandait. Un mannequin blanc mat dégageait l'élégance d'autrefois. Il reconnut cette robe, élégante, rouge...

Vêtements d'enfant, d'homme, de femme, anciens ou modernes, les formes fines considérées comme idéales les exposaient à merveille.

 

 

 Une robe en particulier attira Lyron.

— Ne touchez pas à la marchandise ! S'exclama Vincent Lombardi. Puis-je vous renseigner ?
— Combien ?
— Je crains que cette catégorie de robe ne rentre pas dans votre budget !
— Je ne vous ai point demandé votre avis. Je repose la question ; combien ?
— Un demi-million. Robe longue, soie véritable, encolure bateau, cousue de fils d'or, réalisée à la main...
— J'achète !
— Monsieur ?
— Lyron.
— Ce cadeau est certainement destiné à une grande dame...
— Oui monsieur Lombardi. Elle est belle, au teint de porcelaine, elle ne connaît pas le mensonge.
— Des qualités essentielles. Je suis flatté, ma notoriété dépasse mes attentes. Comment voulez-vous régler votre achat ?
— En pièces d'or, des dragodors.
— C'est une plaisanterie ?
— Non. J'en ai tant de coffres. Si cela ne vous convient pas, je reviendrai avec un chèque.

 

 

 — Venez par ici Axelle... Monsieur Lyron souhaite acheter cette magnifique robe. Voulez-vous s'il vous plaît faire un paquet cadeau et ajouter un doux parfum à titre exceptionnel.

— Très bien monsieur, répondit l'employée.
— Le chapeau sur le mannequin est-il à votre goût monsieur Lyron ? Offert par la maison.
— Non. Je ne l'aime guère...
— Je tâcherai d'en confectionner d'autres qui seront à la hauteur de vos attentes. Comment voulez-vous procéder pour le    paiement ?

 

 

 — Je vais chercher les pièces d'or. Ma voiture est mal garée, plus loin. Puis-je s'il vous plaît emporter les paquets ?

Je ne voudrais point les abîmer, deux fois rien pour moi, beaucoup pour vous.

Confiance aveugle, Vincent Lombardi accepta.
Il patienta jusque tard dans la nuit. Nul ne lui apporta ce qu'on lui avait promis.