• Chapitre 3 : Patte de velours

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Ses chaussures cirées marchaient sur la moquette pourpre le long de la balustrade. Le majordome s'arrêta un instant, attentif aux coups donnés derrière la porte.

    — Il y a quelqu'un ? Samuel c'est vous ?

    Il avança jusqu'au bout du couloir et à petits pas revint devant la chambre.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     — Il m'a enfermée pendant que je dormais. Ouvrez-moi, s'il vous plaît...

    Daisy secoua vivement la poignée.
    — Je sais qu'il y a quelqu'un là derrière. Parlez-moi !
    — J'ai pour ordre de veiller à ce que personne ne rentre mademoiselle Daisy.
    — Samuel je suis contente de vous entendre.

    Elle colla son oreille contre la porte. Le majordome réajusta ses gants blancs, mal à l'aise.
    — Laissez-moi sortir ! Je veux rentrer chez moi.
    — Je n'ai point la clé mademoiselle. Monsieur Lyron a insisté. Quiconque ne doit pénétrer vos appartements.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     — Mais qui d'autre à part lui habite ce manoir ?

    — Monsieur Vladislaus.
    — Je sais. Où est-il ?

    Le majordome observa ses chaussures.
    — Il dort mademoiselle.
    — Quelle heure est-il ?

    Le tapage d'un carillon ébranla neuf coups furieux. Daisy sursauta. Samuel regarda autour de lui, non désireux de revoir la fumée noire qui l'avait tourmenté toute la nuit.
    — Notre conversation doit se taire mademoiselle Désirée Belle. Je n'ai point le droit de vous parler en l'absence de mes employeurs.
    — Vous êtes ici depuis peu n'est-ce pas ?

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Nulle réponse. Samuel lui ôta tout courage. Le ton de sa voix s'épuisa, l'agitation cessa. Elle se laissa glisser le long d'un mur tapissé. Assise sur le revêtement épais, elle arrêta ses yeux sur ce gris terne qui demeurait malgré le chant des oiseaux. Roula  entre ses doigts une mèche de ses cheveux, les tempes bourdonnantes.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Laora descendit un escalier ouvert sur la cuisine et la salle à manger. Un dégradé de teintes diminuait les meubles en chêne. Des fruits mûrissaient dans un saladier sur une table en bois foncé. Posé sur une commode à tiroirs, un buste en marbre n'était guère la représentation fidèle de quelqu'un qui vivait ici, un objet de valeur qui montrait que l'homme de fortune aimait l'art.

    Laora souleva sa robe lorsqu'elle prenait place à la table. Elle dévisagea le papier peint qui ornait les murs. Gabriel lisait le journal

    « L'orphelinat de Windenburg ferme ses portes ». Aujourd'hui était un jour de congé, sans acte de volonté, absolument embarrassant. Il ne cessait de surveiller la porte, ses regards allaient et venaient.
    — Je me suis installée dans la chambre de ma sœur. Est-ce que cela te dérange ?
    — Oui Laora. Tu portes la même robe qu'hier.
    — C'est une robe coûteuse, du dix-neuvième siècle. Je l'ai achetée chez Lombardi, lorsque je suis arrivée. Tu sais, cette boutique de luxe près du port. La mer est ravissante en cette période de l'année.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     — Il était bien tôt, c'était ouvert ? Vincent Lombardi a la réputation d'ouvrir ses boutiques tardivement. Il voyait Daisy de temps en temps. J'attends sa visite d'un instant à l'autre.

    — Pour quelle raison ?
    — J'ai accepté sa demande quand il a invité ma petite Daisy dans le restaurant le plus chic de la ville. Il l'a emmenée en croisière et lui a offert des robes raffinées. J'ignore pourquoi il s'intéresse à ma petite fille, mais il sait peut-être où elle est. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.
    — Tu devrais songer à repeindre cette maison, c'est terne, désespérant !
    — Cherche du travail. Tu ne vas pas rester ici sans rien faire.
    — Vraiment ! Et ta fille chérie travaille ?
    — Bien que ses études lui prennent beaucoup de temps, elle m'aide dans toutes les associations caritatives dont je suis le fondateur.
    — Bien sûr, Désirée est si parfaite !

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Il tapa des pieds sur le paillasson. Sur l'angle de la fenêtre, une hirondelle bâtissait son nid. Insensible, tel était le regard que lui lança Vincent Lombardi. Il entra sans frapper, déclina son nom et se présenta fièrement devant Gabriel Belle. Laora arrêta de mâcher. Les aiguilles de l'horloge annonçaient midi.

    — Je suis navré d'interrompre votre repas, sollicita l'individu sans y croire lui-même.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Vincent Lombardi affirma sa cravate nouée en l'ajustant sous le col de sa chemise en cachemire.

    — Vous devriez fermer votre porte à clé monsieur Belle. De nos jours restons prudents.
    — Ma petite Désirée n'est toujours pas rentrée à la maison, je craignais qu’elle ait oublié la sienne. J'ai donc laissé la porte ouverte.
    — Je vois. Cela est certainement la raison de votre appel alors que je n'étais pas encore sorti du lit.
    — C'est exact monsieur Lombardi.
    — Comptes-tu me présenter Père ?
    — Cesse de m'appeler de la sorte. Monsieur Vincent Lombardi, ma fille aînée, Laora.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Lorsqu'elle lui lança un sourire, il détourna les yeux sur sa poitrine. Lorsqu'elle lui tendit la main, il poussa le bol devant lui.

    — Laora peut-elle se rendre utile en vous servant quelque chose à manger monsieur Lombardi ?
    — J'ai un dîner d'affaires dans une heure, non merci. Vous portez avec élégance une robe de ma plus belle collection mademoiselle Laora Belle.
    — Je l'ai achetée sur la Magnolia Promenade.
    — Excellent choix, je possède une boutique de prêt-à-porter à cet endroit même et quatre autres dans le monde entier, des vêtements de grand luxe, cela va sans dire.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

    — Voulez-vous du café monsieur Lombardi ? Questionna Gabriel, préoccupé.                                                                                   — Pourquoi pas.

    — Fais du café s'il te plaît ma chère enfant.
    Si lui avait sollicité son aide, elle l'entendit tel un ordre donné. Laora haussa le ton :
    — Bien sûr papa !

    Elle quitta la table en emportant la vaisselle sale. Gabriel reprit sur un ton amer :
    — Vous vous connaissez tous les deux ?
    — Oh non pas du tout ! Dites-moi ce que je peux faire pour vous monsieur Belle.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

    — Ma fille Désirée n'est pas revenue depuis votre croisière.                                                                                                               —  Notre escapade a été agréable, affirma Vincent Lombardi. Nous nous sommes quittés joyeusement.

    — Je suis très inquiet et vous êtes le dernier à l'avoir vue. Je me trompe ?

    Derrière la machine à café, Laora écoutait, attentive.
    — Peut-être est-elle allée rendre visite à une amie.
    — Elle ne part jamais sans me prévenir. Si ma petite fille n'est pas rentrée demain, je déploierai les moyens nécessaires pour la retrouver !

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     « Comme vous l'aimez monsieur Lombardi, sans sucre » Laora posa une tasse de café face à lui.

    Gabriel se montra déconcerté :

    — Je ne crois pas qu'il ait mentionné ce détail...

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Nuances pourprées se mêlaient au bleu azuré autour des rochers flottants. Ils formaient une cité où l'art magique était maître, là où les mages enseignaient, là où les jeteurs de sorts apprenaient. Des cascades limpides épanchaient le roc suspendu, à l'abri des regards, certes, au-dessus de Windenburg.

    La neige et le brouillard ne s'invitaient jamais. La tenue soignée était exigée, la discipline immodérée. Chef-d'œuvre d'architecture, les portails s'étendaient au nord comme au sud. Valait mieux ne pas oublier son balai lorsque ceux-ci défaillaient. Les ruines en avaient long à conter. Pêle-mêle, les débris mouvants effrayaient.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     — Aaaaaaah !

    Un cri d'effroi s'attarda lorsque le manche du balai s'anima. Elle culbuta devant les marches précédant le portail du quartier

    général « Saperlipopette ! ».

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Elle grimaça, secrètement meurtrie par les ecchymoses. Elle ne comptait plus les balais cassés.

    Un enfant sage, allongé sur une soie bleue, attira son attention. Un dragon noir à la cuirasse argentée ramena ses ailes le long du corps et serra les pattes lorsqu'il vit un regard s'abattre sur lui. Ses yeux noirs se figèrent, sa tête se raidit, muet comme les pierres.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Elle avait passé ce même portail à l'âge de six printemps. Une angoisse sourde l'envahit. Le calme de ce petit l'émut.

    Il ne pleurait guère aux larmes. Liotta, elle, avait couru partout, fouiné, hurlé. Elle s'était penchée dans la fumée d'un chaudron en ébullition, attirée par un champignon luisant. Le drame. Elle en portait les cicatrices.
    Elle berça le nourrisson et lui adressa un large sourire pour le réconforter. « Ruben » lut-elle, sur la couture de la pièce de tissu restée sur le marbre cipolin.
    Elle se pinça les lèvres, persuadée d'avoir déjà vu le dragon noir. Liotta l'attrapa par le cou, la conclusion que ce n'était qu'un jouet.

    — Je vais chercher de l'aide garçon, dit-elle en remontant les marches de l'escalier.

    Sa couche dégoulinait. Une odeur lui piqua les narines. « Veille sur lui la babiole » taquina-t-elle.
    Le dragon noir lui tira la langue à peine fut-elle partie.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Sage de la magie indomptée, Morgyn Ember bouquinait lorsque Liotta fonça sur lui.

    — Un avertissement suffirait-il à vous calmer Liotta Conley ? Avoir été élevée par les sorcières ne vous donne pas le droit d'être impolie ou de courir de la sorte.
    — Pardon ! Un bébé est arrivé par le portail.
    — Je ne suis guère d'humeur très chère, cette plaisanterie est de mauvais goût.
    — Cela n'en est pas une. C'est un garçon, avec un jouet. Je crois que le petit s'appelle Ruben.
    — L'histoire se répète. Qu'avez-vous fait ?
    — Rien, je le jure.
    — Je vous pulvériserai d'un coup de baguette si vous avez trahi le cercle des sorcières et du lieu qui les accompagne.
    — Je n'ai rien fait. Je ne sais pas comment il est arrivé ici...

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     — Alors il fait patte de velours en transgressant les règles, comme vous, il y a longtemps. Vous aviez des ailes et des oreilles pointues. Je m'en souviens comme si c'était hier.

    — Elles ont brûlé lorsque je suis tombée dans un chaudron bouillant. Ma chair a été recollée avec la peau d'un cadavre. Je suis restée inconsciente des mois durant. Faut-il que je continue ?
    — Respectez le mage qui vous enseigne les sciences de demain !
    — Je suis une apprentie sorcière depuis mon plus jeune âge. Pourquoi mage Ember ?
    — Il faut croire que vous n'étudiez pas assez. Le savoir-faire est dans les livres. Emmenez la patte de velours chez vous. Je ne veux pas que les autres se prennent d'affection pour lui comme ils l'ont fait pour vous.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     Une pince à cheveux remuait violemment dans la serrure, derrière la porte, à l'étage. Vladislaus s'arrêta net devant la cheminée, l'oreille attentive. Il dévisagea les flammes ardentes « des parasites » susurra-t-il.

    Une douce chaleur avait envahi le sépulcre l'arrachant d'un sommeil profond. Il prêta l'oreille « il y a bruit de quelque chose là-haut ». Vlad plia légèrement les genoux, ramena ses mains en croix devant ses yeux et la fumée noire ne se fit guère discrète. Témoin involontaire, le majordome ravala sa salive, les paupières battantes.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

    — Avez-vous une poussière dans l'œil cher ami ?

    — Non monsieur. Je souffre de fatigue oculaire.
    — Il y a quelqu'un dans cette chambre ?
    — Vous pouvez disposer Samuel ! Interrompit Lyron.

    Il ne fallut pas le lui dire deux fois.

     

    Chapitre 3 Patte de velours

     

     

    Daisy colla son oreille au trou de la serrure. Vladislaus rebondit sans ciller :

    — Pourquoi ne pas m'avoir présenté la proie ?
    — De quoi parlez-vous mon oncle ?
    — Je sais qu'elle est ici.
    — Lorsque de vos mains habiles vous jouez de l'orgue, vous n'entendez ni bruit, ni son, ni parole.
    — Le feu qui crépite, un dîner, une rose noire volatilisée, évidemment que c'est elle dans cette chambre.
    — On n'est jamais si bien servi que par soi-même mon oncle...

     

    « Chapitre 4 : Perle noire »

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    1
    Samedi 24 Juillet 2021 à 17:34

    Hello Crizie ! J'ai encore un peu de retard... J'essaie de te faire deux ou trois chapitres aujourd'hui !

    2
    Samedi 24 Juillet 2021 à 18:12

    Un dégradé de teintes diminuait (même si je ne suis pas sûre du sens)

    Laora souleva sa robe lorsqu'elle prenait place

    pas encore sorti du lit

    la pièce de tissu restée sur le marbre cipolin

    Avoir été élevée par les sorcières ne vous donne pas le droit

    Elles ont brûlé

    comme ils l'ont fait

    Il ne fallut pas le lui dire deux fois.

    On n'est jamais si bien servi

     



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :